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Batman et Nolan – Le poing (final)

Puisqu’il faut un point final à toute bonne histoire, quand bien même on laisserait quelques portes ouvertes pour l’imaginaire, et que la forme logique d’une trilogie fait toujours sens, The Dark Knight Rises sera donc l’ultime épisode des aventures de Batman sous la houlette de Nolan. Une conclusion sur laquelle tous les regards auront été rivés.

I’m The Goddamn Batman !!!

Naissance/Chute/Renaissance

Schéma classique d’une saga aux accents mythologiques, la trilogie de Nolan aura au final su répondre aux exigences d’un récit porté sur la destinée d’un personnage rassembleur et qui tend à tirer les siens vers le haut. Batman en tant que symbole a échoué: en choisissant de porter sur ses épaules les crimes d’Harvey Dent/Double-Face, il a saboté son oeuvre et, pire encore, trahi ses idéaux. Le Dent Act évoqué dans Rises et mis en place à la suite de la mort du procureur White Knight a permis aux forces répressives de Gotham d’annihiler la criminalité visible et gênante, renvoyant dans les bas fonds, loin des regards des notables, toute la crapulerie de la ville. À aucun moment le crime n’aura été vaincu et encore moins les racines de celui-ci. Les raisons socio-économiques de la criminalité gothamiennes étaient assez stupidement évoquées par la petite Rachel Dawes dans Batman Begins (en gros, c’est la faute au méchant mafieux) et il faudra attendre Bane et sa pose de révolutionnaire populiste pour que ce malaise social soit enfin évoqué.

Car au final, que ferait Batman si ces leurres que sont les super-vilains n’étaient pas là et que son but était de purifier réellement Gotham ? Sa position pourrait être celle de Bane qui choisit de menacer directement un des symboles majeurs de la crise que nous traversons (la Bourse) et se pose en défenseur des opprimés face aux élites corrompues. Bien entendu, Bane se contente d’être une sorte de Mélenchon de la révolution et se sert du soulèvement du peuple pour asseoir le pouvoir de la Ligue des Ombres, la société occulte dirigée par Ra’s Al Gul, dont le but n’est rien de moins que la chute de l’Empire occidental (et plus généralement, de tous les empires gangrénés comme le précisait le personnage de Liam Neeson dans Batman Begins). C’est avec cette toile de fond (sur lequel je vais revenir), ce chaos absolu où plus rien n’a de sens (les gentils sont les méchants qui sont des gentils mais en fait non, pas vraiment) que Bruce Wayne pourra accomplir la destinée de ses deux identités et donner tout son sens à la trilogie.

Last Exit to Paradise

The Dark Knight Rises est l’épisode des masques qui tombent, des secrets éventés et des révélations. En cela, il est totalement apocalyptique et sa progression, toute en montées, marche du tonnerre de Dieu pour peu qu’on accepte les règles du jeu. À savoir: peu de Batman, un montage qui tranche dans le lard, fait des raccourcis et ne s’appesantit pas sur certains détails, une réappropriation totale de l’univers Batman. Si on regarde de plus près, les mêmes règles qu’auparavant, appliquées à une échelle plus grande vu les ambitions de cette conclusion. Car les Nolan ont misé gros sur cet épisode tout en prenant des risques avec le public acquis aux deux premiers et les fans de Batman. Le plus gros risque étant bien entendu cette conclusion.

Et oui, offrir une porte de sortie à Bruce Wayne ça peut dérouter, quand bien même cette fin n’a rien de véritablement définitif (puisqu’au final on ne peut que spéculer sur les évènements qui se passeront après le générique), c’est assez « inédit ». Non, Bruce Wayne n’a pas à porter le fardeau Batman toute sa vie. Oui, il en a fait assez à son niveau d’humain et la relève est là. Rien ne l’empêche de s’investir autrement pour combattre le Mal. Bien qu’à première vue cela puisse paraitre incohérent avec le personnage de Batman, il n’en est rien puisque l’angle qu’a voulu aborder Nolan est celui du réalisme. Du what if…?: « et si un personnage bigger than life, un symbole quasi-messianique, apparaissait dans notre monde ? » À mon sens, cette conclusion donne tout son sens à l’épopée de Nolan dans la mesure elle justifie tous ses précédents choix, les mène le plus loin possible et offre une véritable fin aux résonances mythologiques et humaines. En empruntant le chemin du héros, Bruce Wayne vivra son voyage au pays des « merveilles » (je renvoie au récent jeu Alice: Madness Returns pour mieux faire comprendre l’analogie) et en ressort transformé, apportant à sa communauté les fruits de ses enseignements. Humainement, il aura su transcender son traumatisme fondateur, vaincre ses propres tumeurs schizophréniques (le Joker, Bane et Ra’s Al Gul) en conservant sa ligne de conduite et à se souvenir de qui il était. Exit le fatalisme des comic books, bonjour la transcendance.

En procédant de la sorte, Nolan se permet non seulement de se libérer du personnage en toute beauté et offre un possible, un nouveau point de vue qui peut paraitre violent (d’une certaine façon, en refusant la pose romantico-désespérée, Nolan coupe le cordon avec une forme d’adolescence qui entoure Batman et son public – dont l’auteur de ses lignes aura eu bien du mal à accepter la disparition) mais qui s’avère nécessaire. Nécessaire dans le sens où la stagnation est synonyme de mort clinique. Comme le suggère Alfred, cette idée d’aller de l’avant. Discours qui, comme celui d’Hideaki Anno dans Evangelion s’adressant directement aux otakus, peut être pris comme une critique du geek enfermé dans ses névroses, incapable d’aller de l’avant ou de ramener dans le concret et pour les siens ce qu’il a pu découvrir dans ses mondes intérieurs. Tirer un trait sur une certaine idée de Batman, accepter de le voir partir, s’élever pour enfin s’accomplir. En cela, la trilogie de Nolan est allée beaucoup plus loin que toutes les précédentes adaptations du Chevalier Noir et se légitime donc parfaitement. Du début à la fin, peu importe les épisodes que l’on préfère.

Dans l’air du temps

Avant de conclure, je m’en voudrai de ne pas évoquer la toile de fond socio-politique de Rises. Bé oui, quand même. Quoi qu’on en dise, les éléments disséminés dans le film ne sont pas uniquement là pour faire joli ou avoir droit à des gros titres aussi stupides que racoleurs. Entre le Monde et sa vision « enfumage total » de la réalité politique ou les couvertures du Rotschildien Libération et de l’acéphale Télérama, on peut sentir d’une part l’asphyxie généralisée d’une presse plus illégitime que jamais, et d’autre part, les réflexes conditionnés par des années d’abandon de critiques sérieuses sur le terrain politique. Pour faire simple: QUE D’LA MERDE. Nolan s’est donc permis sur ce dernier épisode de déchainer les passions (je n’ai fait que citer les exemples français qui ne sont qu’un ersatz de la connerie qu’on peut trouver outre-Atlantique), et pile en 2012, année charnière à bien des niveaux: élections américaines, élections russes, élections françaises, renouvellement du bail de la FED, etc… 2012 est une année chargée, et qui dit année chargée (comprenez « on va essayer de vous en faire passer bien plus et bien plus gros ») dit cerveau du peuple à manger au dessert. Un évènement en remplace un autre, les scandales se succèdent, sorties frénétiques de grosses machines hollywoodiennes faites à l’arrache, tout est bon pour distraire les gens avec de la poudre aux yeux. The Dark Knight Rises ne va pas vraiment à l’encontre de cela en donnant dans le subversif. Non, faut pas rêver. Une telle machine sous la surveillance des studios ne peut se permettre de taper clairement là où ça fait mal. Il faut donc ruser.

Je ne m’avancerai pas sur ce que peuvent penser les Nolan de la situation actuelle, ni leurs opinions politiques (d’ailleurs, je m’en fiche légèrement), par contre il est indéniable qu’ils ont su capter les enjeux notre triste époque, sans commettre « l’erreur » de prendre parti pour un des camps imposés (pouvoir en place ou révolutionnaires), mais en se plaçant systématiquement du côté de la Justice et du peuple, peu importe la catégorie sociale de celui-ci. En permanence, les couples d’opposés sont renvoyés dos à dos et leur illégitimité est mise en lumière. Que ça soit le Dent Act mis en place grâce aux mensonges de Batman et Gordon qui n’aura finalement bénéficié qu’aux classes aisées, laissant le reste de Gotham pourrir ou le tribunal expéditif dirigé Jonathan Crane, parodie de justice mise en place par Bane et son administration pseudo-populaire, le constat est clair: plus ça s’oppose, plus ça va dans la même direction. Au milieu de tout ça, les petites et braves gens (superbement illustrées à l’écran par deux personnages: John Blake et Selina Kyle) et au dessus de tous, le Batman « ressuscité ». Le film tout entier se pose en plaidoyer populaire: reprendre le pouvoir et la liberté des mains de ceux à qui les ont laissés les gothamiens, entraide, le bien commun au dessus des intérêts personnels… Les parcours de Blake et Selina, ainsi que celui de Wayne, les mèneront irrémédiablement à ces conclusions, non par altruisme mais par logique et un souci de justice. En partant de là, je vois mal comment le film peut être vu comme une défense de l’ordre établi ou comme un manifeste anarchiste.

Dès Begins, Nolan mettait timidement le doigt sur les problèmes qu’engendraient les élites dévoyées. Dans The Dark Knight, il s’amusait via le Joker à réduire en cendres l’objet de toutes les convoitises. Dans Rises, Bane et sa troupe (qu’on croirait parfois tout droit sortie de Fight Club et du Projet Chaos) ont tout l’apparat des défenseurs du peuple, mais, comme dans Matrix et sa prophétie carotte, un système de contrôle en remplace un autre. Bien entendu tout cela sert essentiellement de décor pour que les personnages puissent s’accomplir, mais Nolan aura au moins eu le mérite de ne pas faire l’autruche sur ces sujets dont…aucun film ne parle.

L’après Nolan

Avant de spéculer sur ce qui se prépare pour l’avenir concernant la franchise Batman et sur l’empreinte que Nolan aura laissé, un petit bilan s’impose sur ce qui s’est passé ces dernières années. Le succès de Begins et The Dark Knight a ressorti Batman de la poubelle dans laquelle l’avaient mis les deux films de Schumacher. Le personnage n’était pas mort pour autant mais son aura (hors comic books) avait pris un sacré coup dans la gueule. Plusieurs projets avaient été annoncés à une époque, on ne savait pas trop ce qui allait se faire (d’un côté, on entendait parler d’une adaptation de Year One, de l’autre du fameux Dark Knight Returns), ni qui allait être derrière la caméra (Nolan a remporté la place face à Darren Aronofsky avec un projet apparemment assez similaire). À sa sortie, Begins fut applaudi pour avoir su ramener le héros dans une réalité non-fantasmagorique, très proche de la nôtre, et pour avoir adapté une des versions les plus saluées de Batman. En doublant quasiment la mise de base (un confortable budget de 194 400 000 de dollars pour un box office mondial de 372 710 015 de dollars) et avec un parti pris qu’on pourrait qualifier d’old school (le fétichisme de la pellicule et refus des effets spéciaux numériques omniprésents), Nolan aura su imposer ses choix et la nouvelle direction que prendra la franchise dans ses produits dérivés. À commencer par la plus grande réussite, le jeu vidéo Batman: Arkham Asylum.

La franchise Batman, c’est un peu comme les Siths (et les Zelda), ça marche souvent par deux. Les films de Burton bénéficiaient de l’exceptionnel travail de Bruce Timm et Paul Dini (ce dernier étant aux commandes des scénarios des deux jeux de la saga Arkham sortis) sur la série animée qui en reprenait l’esthétique et l’ambiance tout en traçant leur route en parallèle. C’est exactement ce qu’ont fait les gars de Rocksteady avec deux jeux qui sont indéniablement ce qui s’est fait de mieux dans le genre super héros. La direction artistique « réaliste » des jeux de Rocksteady s’inspirera des films de Nolan tout en se permettant eux aussi d’évoluer en parallèle pour s’affranchir de leur grand frère. Malheureusement, l’annonce du départ de Dini de la série peut laisser dubitatif quant à la suite des évènements, mais en deux jeux, les créateurs de cette saga auront su nous mettre véritablement dans la peau du Batman et combler toutes les attentes auxquelles les films n’auraient pas su répondre. Une complémentarité assez parfaite qui, avec les comics et les quelques films d’animation, offre un large panel pour les fans du caped crusader. Au final, aucune raison de pourrir la tronche de Nolan puisque sa version ne se veut pas absolue, ultime et définitive, mais bel et bien personnelle et parallèle. N’est ce pas monsieur Pierret ? (j’ai mis le temps à piger, mais ça va, j’ai pigé)

Quelques films d’animations sont sortis, dont le sympathique Batman: Gotham Knight fait plus ou moins sur le modèle Animatrix (quelques réalisateurs nippons, format court métrage) sans la cohérence de ce dernier qui se mariait totalement avec la saga des Wachowski. Ici, aucun lien (même si cette anthologie se prétend faire le lien entre Begins et The Dark Knight): quelques variations allant du très bon Have I Got a Story for You par le Studio 4°C, au médiocre Field Test (Bee Train) en passant par des essais plus ou moins réussis (on reconnait largement la science de Yoshiaki Kawajiri dans le percutant Deadshot). Reste une OAV assez sympathique supervisée par Bruce Timm (bien installé dans son poste de producteur sur toutes les OAV issues des DC Comics).

La suite des évènements est plus ou moins obscure. Nolan s’est clairement fait un nom chez Warner et DC, ce qui l’a logiquement mené au rôle de producteur sur le prochain Man of Steel de Zack Snyder, le nouveau reboot de Superman. Une association qui divise tout autant qu’elle intrigue (comme a pu l’être celle formée par Michael Bay et Steven Spielberg sur les Transformers) et dont nous verrons le résultat en 2013. On sait également que la franchise Batman sera elle aussi rebootée d’ici 2015/2016, avec Nolan pour chapeauter l’affaire dans une nouvelle saga qui différera de l’actuelle trilogie. Le projet JLA (qui avait été confié un temps à George Miller, le papa de Mad Max et d’Happy Feet) est lui aussi relancé et nous aurons droit à une guerre sur grand écran entre Marvel et DC. Difficile de donner l’avantage à quelqu’un pour le moment, mais le fait qu’il y ait une personne (équipée d’un cerveau) pour superviser ces adaptations est plutôt bon signe. On attend de voir les résultats, car comme Marvel et sa ribambelle de navets, DC a aussi permis à des réalisateurs de commettre quelques atrocités (Catwoman par Pitof et Green Lantern de Martin Campbell sont au moins aussi lourds à porter que Ghost RiderDaredevil ou Les 4 Fantastiques, pour ne citer qu’eux).

Ce que laisse derrière lui Nolan ? Un blason redoré, un personnage revenu ancré dans une réalité commune, et grâce à sa conclusion, une table toute propre pour qu’un nouveau joueur prenne place. C’est quand même pas rien. Je ne crois définitivement pas qu’il ait cherché à poser le Batman ultime mais bel et bien à adapter Batman en fonction de sa propre sensibilité, probable que ça soit cette intention qui ait fait que ses films tire le genre vers le haut. Bien entendu, j’espère voir un jour Batman bénéficier sur grand écran du même traitement qu’un Hellboy ou un Spider-Man, une dévotion totale au personnage, mais en attendant ce jour, cracher dans la soupe et rejeter ce qui nous a été proposé serait une hérésie.

Le but de ces articles n’était pas d’asseoir une quelconque vérité sur le travail de Nolan et son équipe, mais bel et bien de suggérer des pistes de lecture pour prolonger le plaisir des films et ouvrir la discussion. Désolé pour les tournures de phrases parfois ratées et les coquilles.

EDIT/ERRATUM

En direct de New-York/Gotham, on me passe cette info: The Dark Knight Rises en véritable IMAX is the real shit. Et il semblerait que le face à face Bane/Batman soit la scène qui rende le mieux. Ce qui remet en question mes précédents propos sur la mollesse des combats. À vérifier donc.