Nolan et Batman – Le point (1ère partie)

Il y a 7 ans, Christopher Nolan ravivait le mythique Batman et parvenait par un habile mélange d’influences à attirer un large public qui, en silence, attendait le retour du caped crusader. Pendant ces 7 années, et en l’espace de cinq films, le réalisateur britannique se sera bâti une aura d’intouchable qui créera chez les cinéphiles de tous bords des dissensions fondamentales. Nouveau génie ? Roi de l’esbroufe ? Renouveau du blockbuster ? Castrat de l’imaginaire ? La sortie du très attendu The Dark Knight Rises est l’occasion de voir d’un peu plus près où en est le bonhomme et ce qu’il en est de sa saga, ses tenants et aboutissants, l’avant et l’après.

Promis, cette fois je suis dans le film !

« The Legends Ends… »

Voilà des mois qu’on préparait un public conquis d’avance à cet ultime épisode avec de multiples trailers, des photos de la nouvelle Catwoman, des déclarations fracassantes du réalisateur et cerise sur le gateau, une tragédie lors d’une avant-première. Comme on a pu le voir par le passé, Nolan aime jouer avec le métatextuel et la campagne marketing s’intègre souvent parfaitement au propos du film. Souligné, surligné, mis en gras et en lettres géantes, le british a la finesse d’un pachyderme pour faire passer ses messages, ce qui lui aura valu de nombreuses critiques de la part des gens privilégiant un cinéma faisant appel à l’évocation, aux ressources et à la capacité du spectateur à comprendre ce qui passait par sa mise en scène. Chez Nolan, on déclame, on répète encore et toujours, inlassablement, les mêmes phrases pour que ça soit bien compris. Compris ? Les mêmes phrases. Encore et toujours. Chez Nolan. Inlassablement. Les mêmes phrases. COMPRIS ?.. Hum. Oui, je l’avoue: cette tendance à insister lourdement sur un propos déjà pas finaud m’a souvent déçu. Entre ça et le fait qu’il investisse des genres et des univers qui en général ne servent que de toile de fond dont il ne retient que le concept de base, je m’étais fait une raison avant d’aller voir le film: « si c’est pourri, je n’irai plus voir un seul de ses films ».

Sur les deux premiers épisodes, j’avoue avoir beaucoup cherché Batman et ne l’y avoir point vu. Du coup, finir une légende qui n’a pas vraiment commencé, c’était quand même gonflé. Mais cet avis n’étant pas majoritairement partagé, et The Dark Knight ayant fait péter les scores du box office, l’accroche était légitime. The Dark Knight Rises reprend donc huit ans après les évènements de The Dark Knight. Après une introduction du personnage de Bane (interprété par un imposant et toujours charismatique Tom Hardy), on retrouve Bruce Wayne, devenu aux yeux des gothamiens une sorte d’Howard Hughes (clin d’oeil à son projet avorté pendant un temps et peut être futur film ?) cloîtré dans son manoir (yeah ! le manoir iz back !). En réalité, la confrontation avec le Joker et Double-Face l’a profondément blessé (l’un a tué sa bien aimée, la plus qu’oubliable Rachel Dawes, l’autre l’a indirectement remis dans une position d’outlaw) physiquement et psychologiquement. À peu de choses près, on retrouve le Bruce Wayne vieillissant de Frank Miller et de son mythique Dark Knight Returns. Le travail de Miller sur Batman ayant toujours été annoncé comme une des références principales de Nolan, on ne sera guère surpris de retrouver ici et là des éléments y renvoyant assez directement.

La légende est donc déjà finie…sans avoir commencé et sans qu’on l’ait vu finir ! SCANDALE ! REMBOURSEZ ! AU BÛCHER NOLAN !

Oui mais…c’est avec ce postulat de base qu’il va ENFIN pouvoir commencer sa saga. En repartant sur des bases nouvelles, ce bon Cwistopheur s’offre le luxe d’un nouveau départ balayant les acquis des précédents épisodes tout en se servant des mécaniques mises en place pour conclure tout cela logiquement. Dire que The Dark Knight Rises rend caduques les deux autres films serait exagéré mais il y a de ça: le film est suffisamment didacttif et clair (par le biais de nombreux flashbacks et évocations verbales directes des personnages et évènements) pour s’en passer. Hérésie pour les fans de Batman Begins et The Dark Knight, bénédiction pour leurs détracteurs.

Nouvelles règles

Aux dires de Nolan, bien que l’idée d’une trilogie avait été évoquée dès le début de sa collaboration avec David S. Goyer, il n’avait jamais pensé aller jusque-là. Désireux de profiter des nouvelles opportunités que lui offrait son statut, il était évident qu’il n’allait pas se dévouer corps et âme au justicier de Gotham. C’est ainsi qu’il a pu tourner entre chaque épisode un film de son propre crû: Le Prestige et Inception qui assiéront sa position dans la A-list des réalisateurs hollywoodien. Pris dans cet engrenage et assez régulièrement détourné du Chevalier Noir, c’est sans étonnement qu’on retrouve les mécaniques scénaristiques de ses films personnels intégrés à l’épisode de Batman les suivant (Joker nous fait un superbe Prestige et dans The Dark Knight Rises, l’organisation de l’équipe de résistance ressemble à celle d’Inception). À jongler avec tant d’univers, on peut aisément en déduire que le maëlstrom dans lequel Nolan flotte depuis 2005 est tel que perdre de vue ses objectifs est parfaitement envisageable (sans parler de la pression qui repose sur ses épaules: beaucoup n’attendent que de le voir chuter, c’est un nouveau sport…). Et sans l’ombre d’un doute, pour le meilleur et pour le pire, c’est ce qui s’est passé sur ce nouvel épisode de la franchise.

Au vu des premières réactions, cet opus divise…dans des camps déjà divisés, bien loin du « ceux qui ont aimé les deux premiers aimeront et vice versa ». Non. La confiance gagnée sur les précédents épisodes associée à un égo bien balèze donnera des ailes à un Nolan (et sa team: Emma Thomas compagne/co-productrice, Jonathan Nolan frangin/co-scénariste, David S. Goyer scénariste) déjà en roues libres sur Inception. Cette fois, il s’autorise à prendre à bras le corps son sujet et à en faire ce qu’il souhaite, à donner SA version du Dark Knight. Probable que ce soit cette prise de liberté qui fasse que le film crée une mini-zizanie parmi les fans (des films ou plus généralement, du personnage), car, entendons nous bien: les incohérences, cassures de rythme, dialogues démonstratifs, combats mollassons et autres scories reprochés au film sont là depuis le début et présents tout au long de la filmographie du bonhomme. Donc, c’est quoi le problème ?

« Kill your idols »

Si ça n’était pas clair, autant le poser de suite: je pense que The Dark Knight Rises est un très bon film de Nolan. Je pourrais même dire que pour un film de Nolan, c’est étonnamment bon parce que très décomplexé, chose à laquelle il ne nous avait pas du tout habitués depuis ses débuts, se refusant à toute forme de fantaisie quel que soit son sujet. C’est pour ces raisons que jusque-là, sa saga Batman était considérée comme une tentative d’ancrer les super-héros dans notre réel (un peu ce que M. Night Shyamalan avait fait avec Incassable), tentative qui se transforma en succès car largement approuvé par un public généralement rebuté par l’aspect fantastique des super héros, même lorsqu’ils n’ont pas de super pouvoirs. Adoubé par la critique, acclamé par le public, qu’est ce qui pouvait bien arrêter Nolan sur son chemin de gloire ? La réponse: The Dark Knight Rises.

En acceptant certaines « règles » inhérentes aux comic books, Nolan s’est aliéné une partie de son public qui jusque-là venait voir un film de Nolan plus qu’un film estampillé Batman, de la symbolique plus que de l’incarnation.

Ce qui a séduit un large public est ce qui m’a repoussé. Ce refus d’entrer de plain pied dans l’univers de Batman en se contentant de mettre en lumière uniquement ce qui servirait ses thématiques me semblait, plus qu’une hérésie, un gâchis monumental. Batman Begins parle de Bruce Wayne avant tout et The Dark Knight du Joker. Le Chevalier Noir est cantonné à un rôle d’ombre, voire de figurant et ses moments sont inexistants. Avec The Dark Knight Rises, Nolan et son frangin (avec l’aide de Goyer) s’emploient à détruire tout ce qu’ils ont fait jusque-là et à tout reconstruire. Tel un Luke Skywalker retournant sur Dagoba pour finaliser sa formation de Jedi, Bruce Wayne retourne sur les traces de son mentor, Ra’s Al Gul, pour venir à bout de son ce qui l’a mené sur cette voie: la peur. Et cette fois, il n’est pas question de la vaincre mais de l’accepter.

En faisant le pari « risqué » (il est toujours bon de relativiser: le film est quand même un carton) de déjouer certaines attentes, Nolan, tout comme les Wachowski sur les suites de Matrix (toutes proportions gardées, rangez ces fusils à pompe…), se met à dos un public venu retrouver la formule gagnante des deux premiers films.  En menant sa saga à une conclusion logique, le golden boy est conchié par toute une partie de la presse, des « autorités geeks » (sic) et du public…tous ceux qui l’ont monté en épingle depuis Batman Begins (voire Memento). « Tuez vos idoles » qu’ils disaient…

À suivre…

Publié le août 3, 2012, dans Cinéma, et tagué , , , , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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